pigment et photographie sur toile 73x116 cm à 114x146cm

Projection. Fixe ou en mouvement, l’image projetée se révèle sur le pigment jaune préalablement étalé sur la toile puis recouvert d’émulsion photographique. Réaction. Victime du subtil jeu fixateur/révélateur, elle réagit, touchée par la lumière, pour ne laisser d’elle qu’un souvenir familier, une trace de vie, la rémanence de ce qui fut, l’ébauche du devenir. Abstraction. La précision figurative cède. L’abstraction surgit. Une abstraction feinte. Dans la noirceur absolue - le noir de la souffrance, le jaune émerge, sauvegarde de l’espoir, lueur dense d’une émotion sans retenue. Avec cette nouvelle série de tirages, plus qu’une continuité, un aboutissement, Jean Cérézal-Callizo poursuit son exploration des territoires de l’image. Depuis longtemps, il a quitté les rivages rassurants de la photographie « classique » pour, tel Alain Fleischer, son mentor en sensibilité, cartographier les frontières les plus aventureuses. Formes et dominances naissent ici d’un mélange fixateur/révélateur empirique, aléatoire, finalement organisées comme par magie ou intervention divine… Les images initiales, capitales, issues d’albums d’ancêtres ou de films familiaux, s’estompent, disparaissent, se transforment différemment selon la durée d’immersion dans le bain, la solarisation, les flammes ou l’intervention toujours minimale mais frénétique de l’artiste qui évite l’écueil de l’exhibition tout en livrant au regard de l’autre ses «écorchures d’émulsions» les plus profondes.

Maître d’oeuvre abandonné par sa propre conscience, cet alchimiste avide de création exulte dans le faire, emporté par l’excitation, l’hypertension… Il crée, en transe, habité, animé par une force qui échappe à son contrôle, refusant la pensée afin « de se préserver de toute remontée de sens et de références. La spontanéité, seule, garantit la sincérité ». Il se perd alors pour mieux se retrouver dans un art jubilatoire où son geste de photographie picturale laisse s’exprimer librement la matière pour devenir expression pure de la matière. La matière dans son chaos le plus vrai. Cette matière, c’est le monde, son origine, son devenir. Mais aussi et peut-être avant tout l’homme. De la matière d’homme. Ainsi chaque pièce peut-elle être vécue par qui tente de la pénétrer comme la sensation d’un saut dans le vide, ou plus exactement « d’un plongeon dans la résurrection, dans une renaissance nécessaire à l'accomplissement transformatoire du devenir, de ce qui va être, de nous comme du reste. C’est ce que nous serons lorsque nous ne serons plus et notre propre matière continuera à participer à la vie. » Dans cette filiation perpétuelle de l’humanité à la vie une figure s’impose, celle de la résurrection.

Jean Cérézal-Callizo offre à percevoir un état transitoire d’après la mort, une réalité de l’homme, un lien cosmique. Figuration d’une vérité sinon de l’ultime vérité. Sa quête existentielle du sens de la vie, physique et spirituelle, le guide peu à peu vers une harmonie vitale et christique. Conquise pied à pied, elle s’accomplit au fil de l’oeuvre. Et, mu par la force de cet équilibre véritable nouvellement atteint, le photographe transcende la photographie en une peinture de l’âme. La révélation devient Révélation.

                                                                              Eric Fayet

 

 

Dans un rythme de production très lent, 12 pièces en un an, je descendais parfois dans le noir les voir dans le labo allongées sur le châssis de traitement, encore humides, parfois noyées d'eau. C'est étrange parce que la scénographie de mon espace de travail le faisait ressembler à une chambre mortuaire et pourtant je descendais les voir vivre, évoluer. Elles restaient là, seules dans le noir pendant parfois plus d'un mois avant que je puisse les en sortir. Je les arrosais, restais quelques secondes à peine, m'excusant presque d'être venu troubler leur repos en allumant la lumière. D'autres fois je restais des heures dans ce calme, immobile la plupart du temps, à réfléchir à partir de ce que j'avais devant les yeux comme point de départ, l'oubliant ensuite.

Dans ces longs moments, je regardais la matière se réorganiser d'une manière invisible sur le

moment mais qui de fois en fois prenait tournure.
Sur un fond de musique arménienne (celle là même que j'écoutais en boucle inlassablement pour travailler) j'avais mis en place des espacements presque inaudibles, utilisant des sons (battements de coeur de mes deux derniers enfants, leurs premiers cris, des enregistrements de gouttes d'eau, de chaudière, de la musique... ) comme les notes d'une lente partition intérieure qui déroulerait cet environnement sonore familier.